De Hong Kong Erik Prince, ancien des Navy Seals [les forces spéciales de la marine américaine], ancien espion de la CIA et ancien PDG de la société de sécurité privée Blackwater, se définit comme “un touriste malgré lui” dont la modeste entreprise a décollé après les attentats du 11 septembre 2001, s’est étendue à l’Irak et à l’Afghanistan puis a été “torpillée par la politique”.

Pour ses contempteurs et les amateurs des théories du complot, c’est un mercenaire et un profiteur de guerre. Pour ses admirateurs, c’est un patriote qui a répondu plusieurs fois à l’appel de l’Amérique avec bravoure et créativité. Aujourd’hui, assis dans une salle de conférences surplombant le port Victoria à Hong Kong, il explique le nouveau titre qui est le sien depuis le mois de janvier : président de Frontier Services Group, une société de sécurité et de logistique opérant en Afrique et étroitement liée au plus grand conglomérat chinois, Citic Group, qui appartient à l’Etat. Pékin est prêt à mettre le paquet pour exploiter les ressources de l’Afrique – dont une enveloppe de 1 000 milliards de dollars à dépenser en routes, en voies ferrées et en aéroports d’ici 2025 – et Erik Prince entend être au cœur de l’action.

Avec une cotation en Bourse à Hong Kong, Citic comme deuxième actionnaire principal (15 % des parts) et des pointures du conglomérat chinois siégeant à son conseil d’administration, Frontier Services Group est à des années-lumière des liens entre Blackwater et la CIA et des 2 milliards de dollars de contrats versés à la société de sécurité privée par le gouvernement américain. Un vrai soulagement pour Prince. “Je préfère me colleter avec les aléas des affaires en Afrique que de me demander ce que Washington va encore faire aux entrepreneurs”, affirme ce quadragénaire à la brosse toute militaire.

Après avoir créé en 1997 en Caroline du Nord un centre d’entraînement pour l’armée et la police américaines, il n’a cessé de “dire oui pour répondre à la croissance de la demande [en matière de sécurité] – après la tuerie du lycée de Columbine en 1999, l’attentat contre le destroyer USS Cole en 2000, puis les attentats du 11 septembre 2001”. Après avoir mené 100 000 missions en Irak et en Afghanistan, poursuit-il, les agents de Blackwater n’ont eu à déplorer la perte d’aucun officiel américain placé sous leur protection. Mais l’entreprise s’est taillé une réputation de “gâchette facile”, surtout après la fusillade de 2007 sur la place Nisour, à Bagdad, où 17 civils ont trouvé la mort. A partir de là, poursuit Prince, la société Blackwater a été “prise comme bouc émissaire par un client lunatique”, à savoir le gouvernement américain et plus particulièrement le département d’Etat. Washington a décidé de “retourner toute la bureaucratie fédérale” et de la lâcher sur Blackwater “comme une meute de chiens enragés”. Des inspecteurs du fisc ont confié à ses collègues qu’ils n’avaient “jamais subi autant de pressions pour coincer quelqu’un”. “On sera sur ton dos jusqu’à ce que tu mettes la clé sous la porte”, ont même promis des employés du Congrès. A la suite de plusieurs poursuites judiciaires contre des employés de Blackwater, dont la plupart ont été abandonnées, Prince démissionne de son poste de PDG en 2009 et regrette “de tout cœur d’avoir un jour dit oui à un contrat avec le département d’Etat”. Ce qui le conduit à Hong Kong et à sa nouvelle société. “Ce n’est pas un geste patriotique : on est là pour monter un business et gagner de l’argent en même temps”, précise-t-il. L’Asie – et surtout la Chine – “a aujourd’hui l’esprit de frontière, cet esprit de conquête qui s’accompagne de risques inévitables lorsqu’on s’aventure sur des marchés moins sûrs, mo